A Bursa, une des villes industrielles majeures de la Turquie, les ouvriers du secteur métallurgiques, et en particulier de l’automobile, se sont engagés dans une révolte contre la politique de bas salaires des patrons représentés par l’organisation patronale sectorielle MESS et contre le syndicat jaune Türk Metal, transmission de courroie des politiques patronales. Les ouvriers de Renault ont pris l’initiative de commencer une grève sauvage le 15 mai et ceux de Tofaş, entreprise qui manufacture les voitures Fiat an Turquie, se sont joints à eux le lendemain. Près de six mille ouvriers travaillent dans chacune de ces deux usines. Coşkunöz, usine fournisseur à Renault et Fiat, aussi bien que Magneti Marelli Mako, multinationale qui produit des pièces hi-tech pour automobiles, ont à leurs tours commencé la grève l’un après l’autre. Au moment où nous écrivons ces lignes, un total de 20 mille ouvriers ont entamé une grève sans aucun fondement légal dans un pays où le droit à la grève est circonscrit strictement à des procédures de négociations collectives. Cette grève, par contre, trouve sa seule source de légitimité dans la volonté de lutte et d’unité des travailleurs. La production a été arrêtée totalement dans tous ces géants d’industrie et les ouvriers de la dernière équipe qui a arrêté le travail restent dans l’enceinte même de chaque usine.
La grève à Coşkunöz a aussi mené à la perturbation de la production dans l’usine Ford, un autre géant du secteur d’automobile à qui Coşkunöz fournit des pièces. Le premier groupe monopoliste de la Turquie, Koç Holding, est le principal partenaire local de Fiat, Ford et Magneti Marelli. Ces grèves ont mené les ouvriers de beaucoup d’autres usines liées à Koç Holding, à la fois à Bursa et ailleurs, à prendre des actions industrielles. La Turquie expérience la plus grande lutte ouvrière dans le secteur métallurgique depuis le régime militaire du début des années quatre-vingt. Le secteur métallurgique est le premier secteur exportateur de l’économie avec une part qui s’avoisine à la moitié de l’exportation totale qui est de l’ordre de 160 milliards de dollars. Les métallos se trouvent naturellement dans une position centrale stratégique en ce qui concerne la lutte de la classe ouvrière dans sa totalité. Türk Metal, le syndicat jaune contre lequel les ouvriers ont hissé la bannière de révolte, est le syndicat principal du secteur avec proche de 140 mille membres, trainé de loin derrière par Birleşik Metal, avec un peu plus de 20 mille membres. Celui-ci est affilié à DİSK, une confédération avec une tradition de gauche, pendant que Türk Metal est affilié à la confédération Türk-İş, beaucoup plus docile et pragmatique.
Cette récente lutte des métallos contre Türk Metal n’est pas sans précédent. En 1988 et de nouveau en 2011, il y a eu des vagues de démissions et des tentatives en masse de s’inscrire à Birleşik Metal. Mais ces tentatives ont échoué. Il ne faut pas oublier que Türk Metal était le vaisseau amiral de l’ordre syndical construit par le régime militaire du début des années quatre-vingt. La confédération DİSK ayant était fermé à l’époque par la junte, Türk Metal a été sciemment promu, à travers une collaboration étroite entre le MESS et le régime militaire, à la position de syndicat dominant dans le secteur. La raison de cet acharnement est très simple : avant le coup d’Etat de 1980, dans un climat de grandes luttes ouvrières, le syndicat des métallos affilié à DİSK était à l’avant-garde de la classe ouvrière entière. Donc sous le régime militaire, établi précisément pour renverser la vague des luttes acharnées du prolétariat contre la bourgeoisie, Türk Metal a été avancé pour amener sous contrôle et domestiquer les métallos afin de taire le prolétariat entier. Ce syndicat doit être caractérisé en tant que sous-traitant qui offre aux patrons le service de ressources humains bon marchés plutôt qu’un syndicat dans le sens stricte du concept.
En 2011, des milliers d’ouvriers ont abandonné Türk Metal pour passer à Birleşik Metal. Beaucoup de ces ouvriers ont dû par la suite démissionner de Birleşik Metal à cause d’une panoplie de pressions, de licenciements de la part des patrons allant jusqu’à des cas de passage à tabac de quelques ouvriers par des gangsters de Türk Metal, en passant par la contrefaçon de documents avec la collaboration du pouvoir. Cela a crée une situation où aucun syndicat n’a atteint le seuil nécessaire jusqu’à ce que Türk Metal ait signé une convention collective ce printemps, après que la convention de groupe couvrant Renault, Fiat, Coşkunöz, Magneti Marelli, Ford etc. ait été signée entre le syndicat et MESS, l’organisation patronale. Or à cause du fait que la présence des partisans de Birleşik Metal a crée une pression supplémentaire, le syndicat jaune a dû signer une convention de loin meilleur que la convention de groupe. C’est cette contradiction qui a détonné la révolte des ouvriers des autres usines, qui ont demandé que leur convention soit remaniée sur la base des acquis atteintes à Bosch. MESS et Türk Metal se sont dressés contre cette revendication d’une seule voix, ce qui a déclenché le processus de démissions à échelle massive du syndicat. Les agressions contre les ouvriers démissionnaires organisés de la part des délégués syndicaux de Türk Metal n’a qu’accéléré la hémorragie. Finalement les ouvriers ont arrêté le travail et refusé de quitter les usines. Les travailleurs font face à une vague de licenciements et une répression policière qui pourraient venir à n’importe quel moment.
Dans cette grande vague de luttes au centre du laquelle se trouvent les usines Renault et Fiat, les ouvriers avancent trois revendications principales : 1) Amélioration salariale ; 2) éviction du syndicat jaune des entreprises ; 3) renoncement aux licenciements de la part du patronat. Les ouvriers ne se sont pas inscrits à un autre syndicat. Ils continuent à lutter sans s’inscrire. Ils ont élu des délégués et désigné des comités d’usine qui dirigent les actions et pourvoient à la coordination entre les différentes entreprises. L’utilisation des médias sociaux est très répandue parmi les ouvriers. Les usines ont bien sûr leurs médias sociaux à eux-mêmes, mais des pages comme Metal İşçisinin Sesi (la Voix du Métallo), organisés par des métallos proches du DIP (Parti Révolutionnaire des Travailleurs), servent aussi en tant que plateforme de communication, discussion et coordination des actions.
Résultat de politiques sciemment suivie depuis l’époque du régime militaire, la majorité écrasante des ouvriers sont totalement coupé des idées de gauche ou socialistes. Le mouvement actuel est sous l’hégémonie des points de vue de droite et beaucoup des ouvriers se sympathisent avec des partis de l’ordre établi. L’avant-garde politisée en est une fraction infime. Des idées nationalistes dominent parmi les ouvriers. C’est donc très important de créer un mouvement de solidarité internationale, qui donnera aux ouvriers une fenêtre au mouvement ouvrier des autres pays. Cette solidarité doit nécessairement déborder les limites des échanges symboliques entre syndicats (DİSK et CGT, DİSK et FIOM etc.) et déboucher sur une solidarité plus immédiate et directe, et donc plus chaude, entre les ouvriers de la France, de l’Italie et de la Turquie. Cela ne peut se matérialiser que par le truchement de l’initiative de l’avant-garde consciente et révolutionnaire de la classe. Les modalités peuvent étendre de l’impacte morale minimale des actions symboliques, des actes de solidarité préparés par les ouvriers avec des pancartes et devises et photographiés ou filmés jusqu’à des arrêts de travail pour solidarité dans les cas éventuels de répression policière, des arrestations ou bien des licenciements en masse.
Ce type de solidarité entre les métallos des pays européens et de la Turquie pourrait bien sûr infléchir l’influence du nationalisme au sein des ouvriers en Turquie, mais aussi contribuer à l’affaiblissement de l’islamophobie, le néo-fascisme ou le fascisme tout court dans les pays européens. Nous vous appelons donc à un travail de solidarité internationaliste qui aiderait les deux côtés à surmonter les limites de l’action à l’échelle nationale.
Vive la solidarité internationale entre les ouvriers !
Travailleur de tous pays, unissez-vous !
Parti Révolutionnaire des Travailleurs (DIP)